Quel mobile derrière les massacres commis par l’Etat islamique, le 13 novembre 2015, à Paris ?

J'avais rédigé l'analyse ci-dessous, le dimanche matin, 15 novembre 2015, et l'avais envoyée immédiatement dans l'après-midi à beaucoup de responsables politiques, religieux et de médias, après les massacres du 13 novembre 2015, à Paris. 

 

Le président de la République, l’ensemble de la classe politique et médiatique utilisent le terme arabe (plus précisément un acronyme arabe ) de DAECH qui signifie Etat islamique en Iraq et au Levant. C’est cette organisation qui a revendiqué les attentats meurtriers du 13 novembre à Paris, dans un communiqué dont le mobile potentiel sera examiné dans le bas de cet article.

 

Il y a là chez les dirigeants de notre pays, un refus assumé d’utiliser le mot islamique pour ne pas aiguiser chez les Français un rejet des personnes de confession musulmane. Il n’empêche que ce mouvement est bien composé de musulmans fanatiques qui s’inscrivent dans le courant de pensée de la quatrième grande école juridique de l’Islam : l’école hanbalite. C’est de ce courant de pensée rigoriste que découle le Wahhabisme installé en Arabie saoudite depuis le XVIIIème siècle, puis le fondamentalisme et le salafisme qui apparurent dans le monde musulman au XIXème siècle et se développèrent ensuite au XXème siècle, avec la création de l’organisation des Frères musulmans sunnites en Egypte et du mouvement la Jamaat-e-islami dans l’Inde d’avant la séparation de 1947, puis au Pakistan.

 

La révolution islamique en Iran en 1979, d’obédience chiite mais très proche de la tendance QUTB des Frères musulmans, a, quant-à-elle, propulsé l’islamisme révolutionnaire dans tout le Proche et le Moyen-orient jusqu’en Afrique noire et au Maghreb, puis ensuite chez nous, en France et en Europe, en suivant le parcours des flux migratoires et l’implantation des immigrés.

 

L’Arabie-Saoudite, gardienne des lieux saints de l’Islam et qui se veut le chef de file de l’islam sunnite, a alors réagi pour contrer l’influence de l’Iran chiite, son pire ennemi. Son gouvernement, ses services secrets et plusieurs princes ou riches hommes d’affaires  ont soutenu plus ou moins ouvertement la création d’Al Qaïda dans le sillage de la lutte contre la présence de l’Union soviétique, piégée en Afghanistan. Cette lutte était bien entendu  coordonnée par les services secrets des Etats-Unis d’Amérique, tout juste expulsés d’Iran et associés aux services secrets du Pakistan sunnite, voisin et rival de l’Iran.

 

Al Qaïda, toujours soutenue par de riches saoudiens, prit ensuite son autonomie car elle ne supportait plus la présence impie des troupes américaines en Péninsule arabique, terre sainte de l’Islam. Ces troupes occidentales s’étaient installées là après l’invasion du Koweit par l’Iraq en 1990 et pour conduire, en 1991, la deuxième guerre du Golfe dont l’objectif était de chasser les troupes iraquiennes sans abattre cependant le régime de Baghdad.

 

L’attaque du 11 septembre 2001 découle logiquement d’une double volonté des saoudiens composants Al Qaïda : apparaître comme le chef de file de l’islamisme en punissant par une opération spectaculaire et meurtrière les Etats-Unis pour l’occupation de la terre sainte de l’Islam où, il faut le rappeler, toute autre religion y est interdite depuis le 7ème siècle.

 

La réaction des Etats-Unis produisit deux effets : un effet direct avec l’invasion de l’Afghanistan des Talibans où s’était retranché Ben Laden ( membre d’une très influente et très riche famille saoudienne ) avec l’appareil de direction d’Al Qaïda ; un effet indirect avec l’invasion en 2003 de l’Iraq.

 

L’invasion de l’Iraq fit éclater l’organisation politico-administrative de ce pays. Saddam HUSSEIN et le parti Baas, issus de la minorité sunnite, qui dominaient la majorité chiite grâce à un appareil répressif sans pitié, perdirent le pouvoir au profit des Chiites. Les Kurdes, protégés par l’armée des Etats-Unis, furent les deuxièmes grands gagnants de l’invasion puisqu’ils purent constituer un gouvernement autonome dans le nord-est de l’Iraq et devinrent, grâce à la constitution de nature fédérale, rédigée avec l’aide des Etats-Unis, les arbitres de la vie politique à Bagdad.

 

Les Sunnites et l’influence saoudienne écartés au profit des chiites et de l’influence de l’Iran, une terrible guerre civile et religieuse s’engagea alors en Iraq. Al Qaïda apparut et s’associa aux groupes islamistes sunnites qui combattaient la présence américaine et le pouvoir chiite, détesté parce qu’hérétique. C’est d’une scission avec Al Qaïda en Iraq qu’est ensuite né l’Etat islamique en Iraq puis au Levant, d’où l’acronyme arabe DAECH.

 

En 2012 et au début 2013 (voir mon article Climat électoral et contexte confessionnel tendus en Iraq, dans Revue Défense Nationale 6 avril 2013), la tension et la violence redoublèrent quand le premier ministre chiite, Al Maliki, fit arrêter, juste avant les élections régionales du printemps 2013, les gardes du corps sunnites d’un dirigeant politique de la minorité sunnite. Tout l’ouest et le nord de l’Iraq se soulevèrent contre le pouvoir chiite installé à Bagdad .

 

Les tribus sunnites, dont le territoire ancestral enjambe la frontière iraqo-syrienne, rejoignirent alors le mouvement d’opposition contre le premier ministre chiite soutenu par l’Iran.

 

C’est alors, qu’après des attentats de plus en plus meurtriers, les combats se firent communs contre le pouvoir chiite de Bagdad et les troupes syriennes de Bachar al Assad, lui-même appartenant à une branche dissidente du chiisme.

 

2013, c’est aussi l’année où la milice du Hezbollah ( parti chiite libanais créé vers 1982 avec l’aide des Gardiens de la Révolution de l’Iran) entra en Syrie pour s’engager aux côtés de Bachar Al ASSAD, en difficulté, et combattre les islamistes sunnites d’Al Nosra et de l’Etat islamique en Iraq et au Levant.

 

Cet engagement de la milice du Hezbollah stimula la réaction de l’Arabie saoudite et de ses services secrets dirigés par un prince, ennemi acharné du Hezbollah. L’Arabie saoudite décupla alors son aide en armes et en argent aux combattants sunnites et contribua de la sorte au renforcement de l’Etat islamique en Iraq et au Levant,  qui, en 2014, s’autoproclama comme califat et étendit simultanément ses conquêtes et la guerre en Syrie et en Iraq. C’est de l’essor de cette milice politico-religieuse dont nous sommes aujourd’hui les victimes en France.

 

Pourquoi nous en France ?

 

Le vrai mobile des attentats de Paris semble être lié à cette lutte entre l’Iran et l’Arabie saoudite et pourrait être l’expression d’une manifestation d’hostilité des éléments les plus durs de la monarchie saoudienne face au soudain rapprochement de la France avec l’Iran, dont le président était attendu à Paris, les 16 et 17 novembre prochains.

 

En effet, la France avait choisi depuis 2012 de poursuivre la lutte contre Bachar al ASSAD et avait renforcé son soutien, son adhésion ?, au camp sunnite qui veut abattre le pouvoir alaouite installé à Damas pour couper en deux l’axe de fer chiite Téhéran, Bagdad, Damas et Beyrouth-sud, siège du parti Hezbollah. C’est pourquoi la ferme et tenace opposition des dirigeants français à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran était particulièrement appréciée par l’Arabie Saoudite et les autres Etats monarchiques du Golfe.

 

Suprême faveur, le Président François HOLLANDE avait été reçu en mai 2015, comme invité d’honneur au sein du Conseil de Coopération du Golfe, qui rappelle la sainte alliance constituée par les monarchies européennes pour endiguer la vague déstabilisatrice née de la révolution française et prolongée par l’empire de Napoléon Ier .

 

Ce CCG, a été créé en 1981, pour contrer la montée en puissance de l’Iran islamique au Proche et Moyen-orient, juste après les premiers coups de boutoir portés par la révolution chiite iranienne.

 

Aucun autre dirigeant occidental n’avait semble-t-il, connu auparavant, une telle faveur ; c’est dire combien l’Arabie saoudite tenait à marquer sa satisfaction de voir la France, membre du conseil de sécurité de l’ONU, lutter jusqu’à proposer le bombardement en 2013 des forces du régime de Damas et s’opposer avec ténacité au retour de l’Iran sur la scène diplomatique.

 

Et puis, soudainement, les dirigeants français, tournant casaque, rejoignirent les Etats-Unis et les autres signataires de l’accord nucléaire avec l’Iran, renouèrent les relations économiques et politiques  avec ce pays et décidèrent de bombarder l’Etat islamique, et donc les sunnites djihadistes, en Syrie.

 

On peut dès lors penser que les éléments les plus durs de la monarchie saoudienne et leurs alliés sunnites islamistes de DAECH aient pu décider de sanctionner la France en lui envoyant ce terrible et sanglant message, au cœur de sa capitale, juste avant la visite du président Rohani, qui venait rétablir au plus haut niveau des relations normalisées avec la France et signer d’importants contrats commerciaux. Le président Rohani a finalement décidé d’annuler sa visite à la suite de ces attentats.

 

En s’appuyant sur les militants de la cause islamiste installés en France et en Europe et issus, pour la plupart, de la population immigrée de culture musulmane, il leur était alors facile d’actionner des agents des réseaux radicaux pour commettre ces massacres qui sont, malheureusement, un mode opératoire habituel dans plusieurs pays du Proche et Moyen Orient tels que l’Iraq, la Syrie, le Liban, etc, lorsqu’il s’agit d’envoyer un message ou de punir des dirigeants !

 

Marcel GIRARDIN

Voglans

 

Le 15 novembre 2015