Céline Pina : l'islamisme, ce n'est pas une invasion de barbus, c'est beaucoup plus insidieux"

Propos recueillis par
 Louis Hausalter ( Marianne.fr )
Céline Pina, ex-élue PS qui s'est fait connaître en dénonçant le salon de "la femme musulmane" de Pontoise, pointe dans son livre "Silence coupable" le déni de la classe politique face à la progression rampante du salafisme. Celle qui a été adjointe à la mairie de Jouy-le-Moutier (Val-d'Oise) et conseillère régionale d'Ile-de-France dénonce aujourd'hui le clientélisme qui voit des élus locaux pactiser avec les islamistes, au mépris de la laïcité. Entretien.
En septembre, vous dénonciez les discours entendus . Six mois plus tard, vous publiez un livre sur le renoncement des politiques à défendre la laïcité. Que s'est-il passé entre-temps ?
Ces questions, elle me travaillent et je les travaille depuis très  longtemps.
C'est parce que certains ont été traités de tous les  noms avant moi que je peux parler de ces sujets aujourd'hui. Je pense à des gens comme  , Caroline  Fourest, , Djemila Benhabib…
Ils m'ont aidé à ouvrir les yeux et à me délier de l'affectif, qui
peut empêcher de parler, surtout quand vous pensez que cela
peut vous coûter votre place.

Mais quand je vois l'état de la société aujourd'hui, je me dis qu'il faut savoir prendre

sa perte.

Vous dénoncez les élus qui pactisent avec des islamistes en citant des

municipalités comme Bagnolet, Cergy-Pontoise ou , mais vous

n'accumulez pas de nombreux exemples. Est-ce pour ne pas jeter des noms

en pâture ou parce que tout cela reste marginal ?

 

D'abord, je n'ai pas mené moi-même une enquête : j'ai pris des exemples que j'ai vus ou

dont on m'a parlé. Ensuite, ce n'est pas forcément intéressant de livrer des noms car

c'est une logique de système. Surtout, c'est dangereux. Certaines personnes vous

racontent des choses, mais ne veulent pas témoigner publiquement de peur d'être

violemment attaquées. Les accusations d'islamophobie ferment encore la bouche de

beaucoup de monde. Quand quelqu'un d'aussi respectable et respecté qu'Elisabeth

Badinter  subit de telles attaques pour avoir dit 

, vous imaginez la trouille des gens qui n'ont pas son aura.

 

Dans votre livre, vous décrivez des salafistes dans une logique permanente de

dissimulation…

Ce n'est pas une invasion de barbus, c'est beaucoup plus insidieux.C'est de l'infiltration

qui s'inscrit dans le temps long. Or, nous ne savons pas observer ces lentes montées

en puissances, et quand elles aboutissent, nous sommes complètement

décontenancés. Lorsqu'une association a voulu construire une mosquée dans la ville

où j'étais élue, elle a d'abord envoyé trois gugusses sur la liste de gauche et trois

autres sur la liste de droite. Ceux qui sont envoyés en première ligne sont de vieux

chibanis sympas, pas du tout agressifs. Mais derrière, vous voyez souvent des

jeunes, plutôt beaux gosses et sportifs, avec un look à la Tariq Ramadan. Ils ne disent

jamais rien tant que les places ne sont pas prises, mais à la fin, vous vous rendez

compte que ce sont eux qui tirent les ficelles.

"ON VOUS EXPLIQUE QUE CE SERAIT BIEN DE CONSTRUIRE LA MOSQUÉE À

CÔTÉ DU LYCÉE, POUR QUE LES JEUNES PUISSENT Y ALLER AU LIEU DE

TRAÎNER DANS LA RUE."

Concrètement, qu'avez-vous observé dans le cas des mosquées ?

D'abord, la mairie accorde un bail emphytéotique (de très longue durée, NDLR), ce qui

permet de subventionner sans le dire. Ensuite, les promoteurs de la mosquée vous

demandent de construire un parking, en assurant que c'est l'intérêt général puisqu'il

servira à tout le monde. Ensuite, on vous explique que ce serait bien de construire la

mosquée à côté du lycée, pour que les jeunes puissent y aller au lieu de traîner dans

la rue. Ensuite, on vous demande pourquoi on ne la mettrait pas dans le centre-ville.

C'est un moyen de montrer sa puissance et de gagner en visibilité. On ne parle jamais

de religion dans ces discussions, qui ressemblent plus à des négociations politiques

qu'à une revendication légitime de gens qui veulent pratiquer leur religion dans l'enceinte

privée.

On distingue en général l'islamisme non violent du terrorisme djihadisme, mais

vous écrivez que les courants islamistes quiétistes sont en réalité

 "les préparateurs du terrain". Pourquoi ?

Parce qu'ils ensemencent des graines de haine, de violences, de rejet de la société et

préparent ainsi le passage à l'acte, même si je suis bien consciente que tous ne

basculeront pas. Que la prise du pouvoir se fasse par la violence ou la légalité,

la société qu'elle installe est la même. Quelle que soit la différence entre les Qataris,

l'Arabie saoudite, l'Etat islamique, etc, la finalité est identique : soumission,

oppression des femmes, violence envers les homosexuels, refus d'accorder les

mêmes droits à ceux qui n'ont pas la même religion… On dériverait alors vers des

sociétés claniques, non démocratiques, marquées par une embolie intellectuelle.

"Les autorités ne doivent pas sous-traiter la

politique de la jeunesse"

 

Mais comment s'adresser aux populations victimes de l'emprise islamiste ?

 

Il faut commencer par remettre à leur place ceux qui les infusent, en disant aux

salafistes qu'ils n'ont pas de place dans cette République. Il faut leur retirer les outils

de la puissance : la possibilité d'accueillir des enfants, de donner des cours,

d'organiser des rassemblements, de devenir des interlocuteurs de la mairie… Ensuite,

un territoire perdu, c'est souvent un territoire abandonné. Les autorités ne doivent pas

sous-traiter la politique de la jeunesse, mais s'en occuper elles-mêmes, en y mettant

le prix. Aujourd'hui, on fait la promotion du service civique pour tenter de remettre

la jeunesse dans une perspective citoyenne, mais on s'aperçoit que l'un de ses

opérateurs principaux est la Ligue de l'enseignement, qui a fêté son 150e anniversaire

avec l'European Muslim Network, le lobby de Tariq Ramadan… La Ligue des droits de

l'homme (LDH) aussi sert de caution de moralité à ces gens, qui ne se trompent pas

sur les lieux qu'ils infiltrent.

 

Aujourd'hui, les lanceurs d'alerte comme vous semblent mieux écoutés…

 

Oui, quelque chose est en train de changer. On l'a vu le 11 janvier 2015 : on s'est

rendu compte qu'il y avait un peuple, que ce peuple avait une conscience du monde

commun dans lequel il veut vivre et qu'il était prêt à se lever pour le défendre. Mais les

politiques ne veulent pas voir ce changement, par peur d'une remise en cause des

rentes de situation dans lesquelles ils se complaisent.

"Il y a un vrai courage chez Manuel Valls"

Mais quelqu'un comme Manuel Valls n'hésite pas à donner de la voix. Il s'est

encore alarmé récemment de la progression d'une "minorité agissante" salafiste…

Je trouve effectivement qu'il y a un vrai courage chez Manuel Valls. Mais quand il sort

du bois contre Jean-Louis Bianco pour défendre Elisabeth Badinter (

, NDLR), il se fait humilier par le

président de la République qui veut sauver un copain de 30 ans. L'autre problème,

c'est que quand Valls parle de ces sujets-là, le gouvernement baisse les yeux et le

PS lui tire dessus à boulets rouges.

 

IL NE FAUT PAS SE LEURRER : AUJOURD'HUI, LE VOILE N'EST PAS UNE PIÈCE

VESTIMENTAIRE, C'EST UNE FORME DE REVENDICATION POLITIQUE.

Quand Valls estime , vous êtes

d'accord avec lui ?

 

Oui, car le voile dont on parle n'est plus un petit foulard flottant sur des cheveux

dénoués. C'est un uniforme total, un linceul. Il ne faut pas se leurrer : aujourd'hui,

le voile n'est pas une pièce vestimentaire, c'est une forme de revendication politique.

Il dit des femmes qu'elles sont impures, qu'elles sont des sexes ambulants et qu'elles

doivent cacher cela. Il dit surtout qu'elles sont inférieures à l'homme. Et si on introduit

l'inégalité en raison du sexe, pourquoi ne pas l'introduire à raison de la couleur de peau

ou de la conviction religieuse ?

Alain Juppé m'a particulièrement déçue lorsqu'il a justifié l'autorisation du voile en

parlant de sa mère qui portait un foulard à l'église. J'ai envie de lui dire : tu sais Alain,

ta mère qui portait un foulard, elle n'emmerdait pas les autres femmes pour qu'elles le

portent. Et elle n'avait pas le droit d'avoir un compte en banque ou de travailler sans

l'autorisation de son mari, elle n'avait pas la maîtrise de son corps… 70 ans ont passé,

donc ne me renvoie pas à ces images-là. J'en ai marre de ces mâles politiques qui

trouvent que rogner sur les droits des femmes, finalement, ce n'est pas un problème.

 

Comment expliquer le problème du Parti socialiste avec la laïcité ?

 

En un mot : électoralisme. Ce qui m'a fait partir, c'est le refus de clarification

idéologique, l'ambiguïté cultivée à dessein et des désignations qui ne dépendent pas

des qualités intellectuelles et morales, mais de la capacité à manipuler des paquets

de voix. Je l'ai vu aux élections régionales : on invite des gens à devenir élus pour être

le représentant de leur particularisme, et pas pour créer et faire vivre le monde

commun.

"Le FN, comme les islamistes, pue la mort"

 

Vous parlez de "guerre des identitaires" entre les islamistes et le Front national.

Que voulez-vous dire ?

 

Je perds souvent mes combats avec les gens qui me disent qu'ils vont voter FN en

arguant que la seule qui est claire sur la laïcité, c'est Marine Le Pen. Déjà, quand vous

écoutez ce que dit Marion Maréchal-Le Pen, vous réalisez que ce n'est pas

exactement le même discours. Ensuite, le FN n'a pas plus de rapport à la vérité que

les islamistes. Ce sont des tacticiens purs. Ils voient que la laïcité et la République

sont des mots porteurs, donc ils les utilisent. Mais ce discours ne les engage à rien.

Quelque part, ils sont aussi absolutistes dans l'identité que les islamistes. Le rêve de

ces derniers est un monde immanent et figé. C'est pareil pour le FN, qui a une vision

d'une France presque mythifiée, figée dans ses représentations. Pour moi, l'un comme

l'autre pue la mort.

 

Selon vous, quel candidat à la présidentielle tient le discours le plus clair sur

ces questions ?

 

2017 me désespère. Hollande ne devrait pas se représenter, Sarkozy non plus.

Cela créerait un vrai appel d'air. Celui qui me semble le plus proche des idées pour

lesquelles je me bats, 

, que je vais bientôt rencontrer. Mais pour l'instant,

soutenir un candidat n'est pas mon objet. Je veux redonner de la spiritualité en

politique, l'envie aux gens de se lever et de se battre pour être co-créateurs de

notre monde commun.

 

D'où viendra le déclic ?

 

Dans la population, on sent qu'il est là. Malheureusement, les politiques préfèrent

tourner le dos par manque de courage. Je sais que le discours "tous pourris" est

insupportable et violent pour des élus souvent dévoués. Mais le dévouement sans le

courage, ce n'est pas suffisant. Ce ne serait pas grave si nous étions comme

il y a 30 ans. Seulement, aujourd'hui, des gens meurent à cause de ça. Il faut arrêter

de jouer.

 

>> Silence coupable, de Céline Pina, éditions Kero, 256 pages, 18,90 €.